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Tapa

« Le tapa est le fil rouge, le lien entre le passé, le présent et le futur »

Hinatea Colombani connaissait le tapa mais sans s’y être vraiment intéressée. C’est la visite d’un ami de Rapa Nui qui va tout déclencher. Il vient passer quelques jours chez elle et il veut faire du tapa. Elle s’y met avec lui. L’odeur, le son, la texture, tout lui plaît !

Son souvenir de la danse du tapa pour laquelle elle s’était portée volontaire il y a quelques années, lui revient en tête : « Personne ne voulait la faire, je m’étais proposée et j’avais adoré être enveloppée dans ce grand tapa qui se déroule petit à petit, au rythme de la danse. Çà m’a transcendée.» Une danse particulière et ancienne, exécutée comme une offrande à une personne qui reçoit le tapa en cadeau. À l’époque elle fait partie de la base de Toa Reva, le groupe de danse de Manouche Lehartel, qui se produit dans les hôtels et à l’étranger. C’est le premier contact avec le tapa.

Les années passent et l’amour pour le tapa grandit au fur et à mesure de ses échanges dans le milieu de la danse d’abord puis de l’art. Elle observe alors le travail du battage du tapa et commence à s’y mettre jusqu’à ce que le désir l’enveloppe toute entière. Elle ne pense plus qu’à ça !

Après avoir assoupli ses doigts, elle saisit le battoir, pose le morceau de liber sur l’enclume et commence à battre. « Quand je bats, je ne dis rien, je déconnecte, je rentre dans un rythme. Plus rien ne se passe autour de moi, je suis dans le présent et en relation avec mes ancêtres. »

Pour battre le tapa, elle prend le rythme du ‘ōte’a, des mouvements cadencés ; pour dessiner sur le tapa, c’est un ‘aparima, douceur et fluidité. « Je transpose mon amour du rythme sur le tapa, c’est comme une danse. »

Les motifs ne sont peut-être pas droits, ce n’est pas grave, la beauté se cache dans l’équilibre subtil de la perfection et des imperfections. Elle qui n’avait alors jamais dessiné de sa vie, se laisse guider par son instinct. Avec bonheur et surprise, elle apprend que la déesse du tapa porte un nom proche du sien : Hina-tutu-ha’a.
Elle découvre également que sur les terrains familiaux sur l’île de Huahine de nombreux ‘ōrā (ou banians) s’épanouissent, un des arbres utilisés pour le tapa : autant de signes qui l’encouragent !

Faire leurs propres expériences

Son compagnon, Moeava Meder, s’embarque lui aussi dans l’aventure et tous les deux vont multiplier leurs expériences et leurs recherches.

Quels arbres choisir, à quel stade de maturité, quels procédés suivre avant de battre le liber, avec quels outils… Ils essayent le ‘uru, le ‘ōrā, le aute (mûrier à papier) et même le mati, qu’ils sont les seuls à travailler de tout le Pacifique. Cet arbre produit un tapa blanc immaculé mais il est compliqué à battre, d’où son utilisation marginale, ce qui en fait un produit exceptionnel, autrefois réservé aux ari’i, chefs et aux tahu’a, experts.

« Nous n’avons pas eu de mentors, nous avons tout appris en faisant nos propres expériences. »

Elle est contactée par le musée de Tahiti et des îles – Te Fare Iamanaha pour animer des ateliers de médiation culturelle auprès du public et des scolaires sur le tapa, l’occasion rêvée de se rapprocher des conservateurs, chercheurs et des collections.

Ils échangent également avec le British Museum dont des représentants viennent en mission à Tahiti en novembre 2019. Ils découvrent la finesse et la complexité du Heva Tūpāpa’u, le costume du deuilleur (ramené en Europe par James Cook en 1774, il fait l’objet d’un prêt de trois ans par le British Museum de Londres) arrive à Tahiti pour être exposé au musée.

Hinatea est invitée à assister à sa mise en vitrine et encouragée à le toucher. « Je me mets à genou devant ce costume, je touche le tapa, j’ouvre, je découvre les motifs à l’intérieur… C’est un moment très fort, un moment intime et unique avec le passé que je n’oublierai jamais. »

Elle est époustouflée par la technique et portée spirituellement.

Le tapa : une œuvre d’art

Depuis, le jardin du Centre Culturel ‘ARIOI s’est transformé : il est rempli de plants de aute, mûriers à papier. Moeava Meder et Hinatea Colombani ne pensent et ne vivent que pour le tapa, fascinés par son histoire et ses possibilités futures. « Le tapa, c’est le fil rouge. Le lien entre le passé, le présent et le futur. Il porte l’identité, le cérémoniel, le quotidien, la féminité. » Moeava fabrique les outils avec et sur lesquels ils battent le tapa : le tutua (l’enclume) et le i’e (le battoir).
« Nous voulions être indépendants et faire nos propres outils. C’est tellement plus intéressant de les fabriquer nous même que de les acheter. Et puis ils sont adaptés », raconte-t-il. Moeava et Hinatea font le tour du jardin plusieurs fois par semaine pour enlever les bourgeons et éviter ainsi les trous dans le liber.

Après plusieurs rencontres avec des tapa makers du Pacifique, Hinatea Colombani a été invitée à participer à la Biennale de Sydney et exposera prochainement à Tahiti avec Miriama Bono, une peintre polynésienne reconnue.

Jamais elle ne se serait pensée artiste mais la voilà penchée sur ses tapa, se laissant guider pour y laisser des motifs, raconter une histoire, trempant ses pinceaux dans les teintures qu’ils ont fabriqué à partir de matière minérale ou végétale.

« On s’éclate ! On travaille des produits uniques car les plantes et les teintures sont uniques. »

Ils viennent de lancer leur propre marque : Tapa Tahiti avec laquelle ils souhaitent promouvoir leur savoirs-faire et leurs œuvres.

« On souhaite que quand une personne nous achète un tapa, ce n’est pas seulement un objet qu’elle va acquérir, mais c’est nous offrir la possibilité de dégager du temps pour la création, la recherche, la transmission de nos savoirs-faire. Ils n’achètent pas qu’une œuvre, ils achètent une intention : celle de faire revivre cet art. »

Dans le jardin, c’est la plante qui détermine ce qu’elle deviendra : un tableau, un costume, un cadeau. « Le tapa, c’est notre vie, notre présent, notre futur, on continue à tisser ce fil rouge. »

LE TAPA C’EST QUOI ?

Le tapa est une étoffe végétale obtenue par procédé de battage, à partir de l’écorce interne (le liber) des plantes suivantes :

  • Le ‘uru, l’arbre à pain, Artocarpus altilis. 
  • Le aute, mûrier à papier, Broussonetia papyrifera
  • Le mati, le Ficus tinctoria. 
  • Le ‘ōrā Tahiti, banian, figuier des banians ou banian de l’inde (Ficus prolixa), est un arbre appartenant au genre ficus, de la famille des moracées. 

‘Ahu tapa : l’élément clef du lien social

Le tapa, tel une seconde peau, est le liant social de l’époque car les anciens Polynésiens étaient habillés de ‘ahu tapa de la naissance à la mort. D’ailleurs, la pratique de l’embaumement était réalisée à l’aide d’huiles, mais aussi de tapa, autour et à l’intérieur du corps du défunt. 

Son aspect spirituel est indéniable, car certaines étoffes de tapa étaient utilisées essentiellement pour les cérémonies. Ainsi, il était commun que des ti’i (représentations d’ancêtres déifiés), ou encore des pahu (tambours), soient ornés de tapa pour des occasions spécifiques. 

ACTU

Miriama Bono et Hinatea Colombani présenteront à la salle Muriavai leur exposition commune HOTU, autour du thème de la régénérescence et des cycles de la Lune.
 
Les deux artistes vous proposeront de découvrir leur univers artistique et complémentaire, décliné sur plusieurs supports : peintures acryliques ou à l’huile sur toiles et papiers pour Miriama, tapa et pigments naturels pour Hinatea.
 
Cette exposition est le fruit d’une réflexion commune entamée depuis leur rencontre en 2017, autour de l’art et la culture.
 
Les deux femmes l’ont façonnée ensemble pendant trois mois, déclinant des références visuelles récurrentes d’une oeuvre à l’autre.
 
Entre tradition et modernité, les deux artistes déploient avec enthousiasme la thématique de la fertilité et des lunaisons, s’appuyant sur leurs connaissances respectives du patrimoine polynésien, tout en s’autorisant une interprétation contemporaine.